mardi 9 février 2010

Le dilemme entre morale et justice

Sanctionner l’évasion fiscale en encourageant la vente de données bancaires volées

Il y a quelques décennies encore, certaines banques allemandes, dénommées « Beihilfebanken » (banques complices), prenaient l’initiative d’aider leur clientèle aisée à s’évader – fiscalement parlant…


La Landesbank Rheinland-Pfalz (institut bancaire au Land Rhénanie-Palatinat), par exemple, conseillait à ces clients d’ouvrir deux comptes séparés dans leurs banques partenaires au Luxembourg :
  • Le compte « public » faisait office de compte officiel avec intérêts imposables et déclarés.
  • Le compte « personnel » était invisible pour le fisc allemand et servait à cacher l’argent.
  • Le fonctionnement : Le compte « personnel » a été alimenté peu à peu – via des comptes intermédiaires – par le compte « public ».
Pour le cas où l’administration allemande posait des questions sur la disparition partielle des avoirs sur le compte officiel, on disait qu’on les dépensait tout simplement.

Mais arrivaient les enquêteurs fiscaux allemands…


Ces derniers ont découvert où l’argent des comptes « officiels » allait véritablement ; en partie, grâce à des employées de banque qui appréhendaient une peine pour dissimulation de faits délictueux.

Une sélection de suites juridiques :
  • Deutsche Bank : amende de 60 millions d‘Euro
  • Commerzbank : amende de 31,3 millions d‘Euro
  • Dresdner Bank : amende de 18,5 millions d‘Euro ; le Président du directoire de la banque est condamné à une peine de prison avec sursis
Le Luxembourg perdait ainsi en attractivité pour les fraudeurs fiscaux.
Depuis l’affaire des comptes de fondation en 2007 au Liechtenstein, ce paradis fiscal n’était plus intéressant non plus pour l’évasion fiscale allemande.

Et la Suisse alors ?

Véritable forteresse avec son secret bancaire courageusement défendu contre toute tentative de désamorçage, elle s’opposait toujours aux « acharnements » des enquêteurs fiscaux et était donc le « lieu sûre » pour les fraudeurs fiscaux allemands.

Ce dernier temps, plusieurs nouvelles affaires ont cependant fait effriter la façade infrangible du paradis fiscal helvétique.
  • Un informateur anonyme a proposé aux enquêteurs fiscaux de la Rhénanie-Du-Nord-Westphalie un CD avec des données bancaires volées contenant l’identité de fraudeurs fiscaux allemands – pour 2,5 millions d’Euro.
  • Le Bade-Wurtemberg s’est vu proposer un CD comparable pour une somme de 500 000 Euro.
  • La Bavière aussi a eu une offre « intéressante ».
2,5 millions d’Euro pour des données bancaires volées…

Les échantillons de données que les enquêteurs fiscaux de la Rhénanie-Du-Nord-Westphalie ont reçues pour tester leur fiabilité se sont révélés pertinents.

Tellement pertinent que l’administration du Land a décidé de transférer le dossier à Berlin.

Après validation juridique de l’achat, Angela Merkel et le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, ont donc élaboré un plan de financement des 2,5 millions d’Euro pour le CD – 50% payé par le gouvernement fédéral, 50% payé par les Länder.

Vu que l’acquisition et l’exploitation des données concernant environ 1 500 contribuables allemands pourraient rapporter 400 million d’Euro à l’état allemand, cette décision était vite prise…

… mais aussi vite contestée.

Parce qu’elle a bien évidemment provoqué une discussion sur le dilemme entre morale et justice :
  • En payant la somme revendiquée, est-il, d’un point de vue légal, justifiable d’acheter des données volées, d’ainsi financer les affaires de malfaiteurs ? De provoquer une multiplication de tels délits par des criminels en quête d’argent relativement facile ?
  • En ne pas achetant le CD, est-il moralement justifiable de laisser échapper des fraudeurs fiscaux, en majeure partie des personnes aisées ? Tandis que des « petits gens » se voient par exemple confrontés à un durcissement des règles dans le cadre de Hartz IV ?
Le gouvernement allemand a déjà du se poser ces questions en 2007, lors de l’affaire du Liechtenstein (prix d’achat pour un CD : 5 millions d’Euro).
A l’époque, l’ancien patron de la Deutsche Post, Klaus Zumwinckel, a été confondu parmi d’autres contribuables allemands de l’évasion fiscale. Il devait payer 180 million d’Euro au fisc allemand.
 

Et le secret bancaire suisse ?

Déjà « restreint » par des conventions bilatérales (par exemple : France-Suisse, Allemagne-Suisse), le secret bancaire suisse – un véritable mythe national – se voit de nouveau mis sous rude épreuves.
Les gouvernements allemand et suisse, vont-ils enfin trouver une solution pour rendre plus transparents les agissements entre banques helvétiques et fraudeurs fiscaux allemands ?
 

La cerise sur le gâteau…

… se présente en jugement du tribunal de grande instance princier de Vaduz (Liechtenstein) qui a accordé des dommages-intérêts de 7,3 millions d’Euro (!!!) réclamés par un fraudeur fiscal allemand.
Le jugement n’est pour le moment pas encore définitif et l’accusé a contesté la décision du tribunal.
 

Quoi ?

Oui. Un fraudeur fiscal allemand a porté plainte contre l’institut bancaire qui a caché son argent en disant qu’il n’a pas été prévenu à temps du vol des données bancaires.

L’argumentation de l’accusateur :
S’il avait été alerté à temps, il aurait pu s’autodénoncer au fisc allemand ou profiter d’une amnistie temporaire ; il aurait donc payé une amende plus « raisonnable »…

Quoi dire…


Liens français :
Le Figaro : Berlin finalise son plan antifraudeurs fiscaux
Le Figaro : Berlin va acheter les secrets bancaires suisses
Le Monde : L'informateur du fisc allemand est le même que celui qui a renseigné Paris
Le Monde : Allemagne serait sous le coup d'une évasion fiscale plus importante que prévu
Le Monde : Angela Merkel justifie l'achat d'un listing volé de comptes bancaires en Suisse

1 commentaire:

  1. Je ne savais pas que le secret bancaire faisait aussi couler de l'encre outre-rhin.
    Bravo pour cette explication.
    Merci Binette
    Arno

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